Appel à contributions - n°8 Enfants et enfances dans l’histoire de l’Afrique
Le huitième numéro de Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique (RHCA), à paraître en juin 2025, sera consacré au thème « Enfants et Enfances dans l'histoire de l'Afrique », sous la direction de Kelly Duke Bryant (Rowan University, États-Unis) et Kalala Ngalamulume (Bryn Mawr College, États-Unis).
Date limite de l'envoi des résumés : 15 avril 2024
Avec plus de 60 pour cent de la population âgée de moins de 25 ans, l’Afrique est reconnue comme le continent le plus jeune du monde. Il est évident que les vies des enfants de l’Afrique sont façonnées par de nombreuses forces et institutions, au-delà de leur seule famille ou leur communauté locale, tels que l’État, les ONG, les organisations religieuses, les institutions scolaires ou la société civile. En même temps, les éléments locaux, comme la socialisation de l’enfant, la taille de la famille et ses moyens financiers, la santé et l’accès aux soins médicaux, les liens sociaux hors du foyer, etc., influencent la vie quotidienne des enfants africains. Pour mieux comprendre ces enfants d’aujourd’hui, qui font face à tant de défis à surmonter, mais qui auront aussi de nouvelles opportunités, il faut connaître leurs histoires : histoires récentes autant que lointaines, histoires de leurs expériences vis-à-vis des organisations et des influences locales mentionnées ci-dessus. Il faut aussi s'interroger sur ce que le mot « enfant » a signifié et signifie toujours en pratique dans différentes sociétés africaines et à des époques différentes, en se concentrant sur le 19e siècle à nos jours. Nous avons utilisé l’expression « enfants et enfances » dans le titre de ce numéro thématique pour indiquer que nous nous intéressons à la fois à l’histoire de l’enfance du point de vue des institutions et des adultes qui la règlent et la surveillent, et à l’histoire des enfants eux-mêmes : leurs expériences, leurs perspectives, leurs actions. Deuxièmement, notre utilisation du pluriel, « enfants et enfances » sert à rappeler qu’il n’existe ni une enfance africaine seule et unique, ni un « type » d’enfant africain. Il faut noter aussi qu’il est difficile de délimiter les âges de la vie, et de faire une distinction entre enfance et jeunesse, en raison des variations de culture, de période, de régime juridique ou politique. Les principaux objectifs du numéro, donc, consistent à réfléchir à ces termes, à explorer comment les enfants ont façonné et ont été façonnés par les sociétés dans lesquelles ils vivaient, et à retracer les développements significatifs de l’historiographie récente (Goerg 2012 ; George 2014 ; Razy et Rodet 2016 ; Walters 2016 ; Chapdelaine 2021 ; Duff 2022).
Considéré par les historien·nes comme le texte fondateur de l’histoire de l’enfance (même s’il a fait l’objet de nombreux débats et critiques), L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime de Philippe Ariès paraît en 1960 et contribue de façon cruciale à faire de l’enfance un objet d’histoire à part entière. En effet, avant Ariès, l’enfance attirait plutôt l’attention de chercheurs formés dans d’autres disciplines, telles que l’anthropologie, la médecine, la sociologie ou la psychologie. Bien que ses conclusions aient été vivement débattues voire rejetées, la publication de cet ouvrage, et sa traduction en anglais qui paraît en 1962, a amené de nombreux autres spécialistes à écrire sur l’histoire de l’enfance, notamment en Europe et en Amérique du Nord (Alexandre-Bidon et Lett 1997). D’après Heidi Morrison (2012) et Peter Stearns (2008), les spécialistes d’autres régions, notamment d’Afrique, ont commencé à étudier la question de l’histoire de l’enfance vers la fin du 20e siècle. Les africanistes, spécialistes de l’Afrique subsaharienne autant que spécialistes du Maghreb, ont examiné ce sujet en s’appuyant sur les recherches des anthropologues, qui s'intéressent depuis longtemps aux questions de la famille, des rites de passage, du mariage, des relations sociales entre les générations, ou des étapes de la vie.
Durant les dernières décennies, les travaux sur l’histoire des enfants se sont focalisés sur trois questions ou thèmes principaux : les différences et liaisons entre l’histoire des enfants et l’histoire de l’enfance ; les effets et les limites de la capacité d’action des enfants (et à l’inverse, les questions autour de l’enfant comme victime, ou l’enfant marginalisé) ; et le problème des sources primaires qui nous permettent de mieux comprendre et écrire ces histoires. Ce problème des sources est particulièrement important quand il s’agit de l’histoire des enfants eux-mêmes, étant donné les limites de l’alphabétisation en Afrique, et du passé et des types de documents créés et conservés qui, d’habitude, privilégient les voix des adultes. Les africanistes se sont penchés sur chacune de ces questions.
Concernant la première piste, certaines études se focalisent sur l’histoire des organisations ou des institutions qui s’occupaient des enfants (comme les écoles, les orphelinats, les tribunaux) ou bien sur les lois ou politiques gouvernementales concernant les enfants, tandis que d’autres s’occupent des expériences et des perspectives des enfants eux-mêmes. Souvent, les sources primaires posent des limites sur ce qu’on peut savoir, étant donné que la plupart des documents ont été écrits et conservés par et pour des adultes. Chez les africanistes, on peut voir cette séparation nettement. De plus, la plupart des études examinent l’histoire des organisations (souvent coloniales) créées pour les enfants. Par conséquent, nous comprenons mieux l’évolution de l’école coloniale, par exemple, ou des orphelinats liés aux missions catholiques que les vies des enfants qui y vivaient (Bouche 1974; Barthélémy 2003). Ce n’est qu’assez récemment, dans les années 2000, que les chercheur·ses ont commencé à écrire l’histoire des expériences des enfants africains, comme élèves, travailleurs, délinquants, orphelins, réfugiés, ou membres d’une famille et communauté. Pourtant, il est fondamental de comprendre les perspectives des enfants et non pas seulement l’histoire du monde des adultes car, contrairement à la position avancée dans l'article controversé de Sarah Maza (2020), les enfants ont eu des impacts sur leurs familles, leurs communautés, et même la politique.
Quant au questionnement portant sur la capacité d’action des enfants, de nombreuses études qui s’y rapportent concluent simplement que les enfants ont eu une certaine capacité d’action dans tel ou tel milieu et période, au lieu d’examiner l’impact de leur action sur la famille, l’école, la communauté, etc. Dans son article sur l’histoire des écoliers à distance au Canada, Mona Gleason (2016) utilise le terme d’« agency trap » pour décrire cette tendance, qu’elle nous encourage à éviter. Jusqu’à récemment, les africanistes se sont souvent concentrés sur les enfants marginalisés ou sur les enfants en tant que victimes (Robertson et Klein 1983 ; Thioub 1993 ; Grier 2006). Or, nous devons aussi souligner que certains enfants pouvaient agir et avoir un impact sur leur propre vie ou sur celle des autres, même s’ils étaient limités par les conditions dans lesquelles ils vivaient. Plusieurs études l’ont établi et il est désormais temps de mieux comprendre les effets des actions des enfants africains sur l’histoire africaine (Lord 2011; George 2014; Razy et Rodet 2016; Duff 2022). En même temps, les expériences vécues par les enfants africains eux-mêmes font partie de l’histoire du continent, et nous devons les étudier pour mieux comprendre cette histoire.
Chez les historien·nes de l’enfance, la question des sources primaires (notre troisième thème) est souvent difficile. La plupart des sources primaires ont été produites par des adultes (et surtout par des hommes, des personnes alphabétisées, des personnes ayant du pouvoir). C’est un défi pour ceux et celles qui effectuent des recherches sur l’histoire de l’enfance dans n’importe quelle région, mais surtout pour l’Afrique, où la scolarisation massive n’a été atteinte qu’assez récemment. Il faut alors souvent lire les archives « against the grain », ou entre les lignes, pour découvrir l’histoire de l’enfance et surtout l’histoire des enfants. Aussi, comme Christopher Lee (2010) l’a noté, les archives traitant les enfants sont souvent fragmentées, dispersées à travers plusieurs dossiers ou séries, voire ne sont que des fragments. Les historien·nes de l’Afrique contemporaine, pourtant, sont habitués à travailler sur des sources coloniales, et dans la recherche sur l’histoire des enfants et de l’enfance, on peut bénéficier d’autres méthodes : lire entre les lignes, s'appuyer sur d'autres disciplines, et utiliser des sources orales. L’histoire orale peut offrir des points de vue africains, mais ce genre de source pose également des problèmes, tels que l’inégalité de pouvoir entre le·la chercheur·se et l'interviewé·e, l’oubli, la durée de vie humaine, etc. Par conséquent, nous sommes particulièrement intéressés par des contributions qui sont fondées sur des sources inédites et/ou lisent et analysent les sources existantes en mettant l’accent sur les « voix » ou les actions des enfants.
Même si les chercheur·ses continuent à approfondir nos connaissances de cette histoire riche, dans les faits, le savoir de l’histoire de l’enfance et de la jeunesse en Afrique reste très incomplet. Et si les historien·nes anglophones ont publié plusieurs études en anglais sur ce thème, elles restent peu nombreuses en français (voir Goerg et al 1992; Ginio 2002; Ndao 2015). C’est pourquoi ce numéro thématique peine à définir et à mettre à jour le profil de « l’enfant » africain d’aujourd’hui et du passé, tout en admettant que cette définition était (est) toujours en constante évolution, et qu’il y a, de fait, de nombreuses définitions de l’enfant à travers le continent. Ce numéro thématique demande comment, d’un côté, les agent·es de l’État, les missionnaires et les chefs religieux, les travailleur·ses humanitaires, les instituteurs·trices, les parents et les autres personnes qui se sont intéressés aux enfants africains, et de l’autre, les enfants eux-mêmes, ont produit, ensemble, l’histoire de l’enfance en Afrique depuis le XIXe siècle. Ce numéro thématique aborde aussi les effets de la capacité d’action des enfants et ses limites, ainsi que celle des sources primaires qui peuvent révéler les « voix » des enfants.
Nous invitons des contributions d’environ 50 000 signes sur l’histoire des enfants ou des enfances, africaines dans n’importe quel pays africain, par rapport à l’un des sous-thèmes que nous décrivons ci-dessus. Chaque article doit être situé dans un contexte détaillé, et peut analyser soit une étude de cas, soit une source primaire (ou un ensemble de sources primaires). Nous invitons les auteur·e·s à faire attention à l’historiographie de l’Afrique, mais aussi à analyser des études qui traitent des thèmes pareils dans d’autres lieux. En plus des articles basés sur des recherches originales, nous encourageons les chercheur·ses à réfléchir à des idées pour les différentes rubriques de la revue, que ce soit Sources, terrains, contexte et Entretiens, ou Comptes-rendus critiques.
Axe 1 : Les enfants africains chez eux
On a souvent tendance à croire que la vie des enfants dans leurs familles (nucléaires et élargies) ne représente aucun intérêt majeur pour les chercheur·ses. Mais à y regarder de près, on se rend compte qu’on a beaucoup de choses à apprendre sur ces premières années de formation des enfants. Parmi les sujets possibles, nous pouvons citer la socialisation de l’enfant à la vie en société (les normes, les habitudes, les croyances, le langage corporel, et la construction sociale de la réalité), la division du travail entre garçons et filles, les jeux des enfants, les moments de transmission du savoir ancestral au travers des proverbes ou des contes, sans oublier les chansons et les danses (Bâ, 1972, 1992, 1980 ; Lundy 2018). Ce sujet est important parce qu’il nous aide à mieux comprendre le monde des enfants en famille et entre eux, révélant des détails sur le point de vue des enfants sur le monde.
Axe 2 : Les enfants africains et l’éducation formelle
Parmi ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’enfance en Afrique contemporaine, il est évident qu’il faut inclure l’histoire de l’école. Effectivement, pendant des décennies, on a failli équivaloir l’histoire de l’école coloniale ou postcoloniale à l’histoire des enfants. Les historien·nes ont eu tendance à se focaliser sur l’institution de l’école, pour examiner, par exemple, le pouvoir de l'État colonial, la politique, ou l'aliénation culturelle parmi les (anciens) élèves. Mais nous ne connaissons ni les expériences scolaires des enfants africains ni leurs points de vue sur l’école. Nous en savons encore moins sur l’histoire de l’initiation à la vie d’adulte subie par l’enfant dans sa famille et/ou sa communauté, la façon dont cette éducation a changé pendant et après l’époque coloniale, et les impacts sur les expériences et les idées de l’enfance. Et il nous reste beaucoup à apprendre au sujet de l’éducation religieuse et son influence sur l’enfant. Nous sollicitons donc des articles au sujet de l’histoire de l’éducation au sens large, les effets d’une telle éducation sur les enfants et/ou les impacts de l’action des enfants africains sur leur éducation (les années formatives, l’éducation religieuse, publique/privée, etcetera).
Axe 3 : Les enfants africains et la santé
Dans cette partie, nous sollicitons des articles qui traitent des questions liées à la santé de l’enfant et à la maladie de l’enfance. Les enfants sont demeurés presque invisibles dans les études sur médecine coloniale en Afrique (Feierman 1985 ; Vaughan 1991). Dans la période postcoloniale, les études historiques sur la santé des enfants sont de valeur inégale sur le plan géographique et thématique. Les deux dernières décennies ont vu un changement de focale, depuis la malaria (Trape 2002 ; -Feltrer 2008), la vaccination (Périères 2022) et la polio (Makoni 2020) vers les enfants orphelins à cause du SIDA et les problèmes auxquels ils ont fait face (Filteau 2009). Dans ce numéro, nous nous intéressons à l’étiologie des maladies des enfants, aux options thérapeutiques disponibles, à l'itinéraire du patient entre la médecine traditionnelle et la biomédecine, au personnel soignant les enfants, et aux médicaments. Nous voudrions aussi des contributions sur les expériences des enfants avec la biomédecine, y compris l’introduction des maternités par les autorités coloniales et leur acceptation par les femmes de diverses catégories sociales ou religieuses, les questions liées à la vaccination et à l'immunité, et le lien entre l'accès à l'école et la vaccination, aussi bien que l’expérience des enfants avec les maladies émergentes comme le virus Ebola et celui du Covid-19.
Axe 4 : Les enfants africains et les espaces publics
Pour ce dernier axe, nous invitons les chercheur·ses à contribuer à l’histoire des enfants africains dans les lieux publics, que ce soient les espaces physiques comme les rues ou les marchés, ou les espaces métaphoriques comme la rhétorique, le discours politique ou l’action humanitaire. Nous nous intéressons surtout aux histoires des enfants qui ont rencontré les vecteurs de pouvoir de l’État ou des ONGs en traversant ces espaces publics. Ces « corps en mouvement » peuvent inclure des enfants de la rue, des mendiants, des vendeurs ambulants, des enfants réfugiés, ou des enfants soldats. La littérature a beaucoup écrit sur les enfants soldats ou les enfants mendiants contemporains, et on commence à mieux connaître l’histoire des organisations humanitaires que se concentrent sur le sort des enfants (Baughan 2022), mais nous devons en savoir plus sur l’influence de ces espaces publics et les entités qui ont tenté de les mettre en ordre sur les enfants qui y vivaient et sur leur influence sur l’idée même d’une « enfance africaine ». Nous ne suggérons pas ici que l’expérience de la violence ou d’être « enfant-soldat » est ou était typiquement africain en Afrique. C’est un phénomène plus récent lié surtout à l’exploitation illégale des « minerais de sang » et c’est la raison pour laquelle nous proposons un thème plus large. Ce sont donc les enfants, (souvent, mais pas toujours, marginalisés), dans l’espace et en rapport avec les vecteurs de pouvoir que nous voudrions examiner ici.
Calendrier et modalités de soumission
15 avril 2024 : Envoi des résumés. Veuillez envoyer un résumé 500 mots maximum accompagné d’une biographie d’environ 100 mots aux adresses suivantes : duke-bryant@rowan.edu et kngalamu@brynmawr.edu
15 juillet 2024 : Envoi des articles. Les auteur·e·s invités devront envoyer leurs articles de 55 000 caractères maximum, espaces comprises et incluant bibliographie et résumés. Les articles doivent être inédits. Pour les consignes aux auteur·e·s voir: https://oap.unige.ch/journals/rhca/consignes
Automne 2024 : évaluation.
Juin 2025 : Publication
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