Scolarisation des élèves déficients visuels et participation sociale

Auteurs

  • Frédéric Dupré Unité de recherche Grhapes, Institut National Supérieur de Formation et de Recherche pour l’Éducation Inclusive – INSEI, France https://orcid.org/0000-0003-3250-7538
  • Esther Atlan Unité de recherche Grhapes, Institut National Supérieur de Formation et de Recherche pour l’Éducation Inclusive – INSEI, France https://orcid.org/0009-0008-5811-797X
  • Caroline Treffé Unité de recherche Grhapes, Institut National Supérieur de Formation et de Recherche pour l’Éducation Inclusive – INSEI, France https://orcid.org/0009-0009-5676-7044
  • Nathalie Lewi-Dumont Unité de recherche Grhapes, Institut National Supérieur de Formation et de Recherche pour l’Éducation Inclusive – INSEI, France https://orcid.org/0009-0004-9816-1757

DOI :

https://doi.org/10.5077/journals/rihv.2024.e1612

Mots-clés :

Scolarisation , Éducation inclusive , Dispositifs ULIS , Unité d'enseignement externalisée, Développement humain

Résumé

La plupart des systèmes éducatifs européens sont engagés sur le chemin d’une école plus inclusive. Cela se traduit en France par différentes modalités de scolarisations possibles pour les élèves déficients visuels, que ce soit en milieu ordinaire ou en milieu spécialisé. Dans cet article, nous réfléchissons aux effets de ces modalités de scolarisation du point de vue de la participation sociale des élèves et de l’accessibilité à l’étude des savoirs. Nos données sont issues de deux projets de recherche. Le premier vise à dresser un état des lieux du fonctionnement des dispositifs Ulis TFV à l’échelle nationale. Le second s’intéresse au processus d’externalisation d’une unité d’enseignement qui permet une scolarisation d’élèves aveugles et malvoyants au sein d’une école primaire. Ces deux études permettent de montrer que la scolarisation en milieu ordinaire ne garantit pas en soi la participation sociale des élèves et qu’une vision systémique permet d’identifier certains obstacles.

Article soumis à la RIHV à la suite de la présentation à la journée scientifique « Handicap visuel et participation sociale : les apports de la recherche » de la Fédération pour la Recherche sur le Handicap et l’Autonomie (FEDRHA, https://fedrha.fr/ ) le 10 octobre 2023. Cette journée a été co-organisée par l’unité de recherche Développement, Individu, Processus, Handicap, Éducation (DIPHE) de l’Université Lumière Lyon 2, le Laboratoire Ergonomie et Sciences Cognitives pour les Transports (Lescot), ainsi que le Laboratoire Mobilité Durable, Individu, Société (MODIS) de l’Université Gustave Eiffel.

Introduction

La scolarisation des élèves déficients visuels en France s’inscrit dans le cadre d’une politique en faveur de l’éducation inclusive. Depuis trente années maintenant, différents textes internationaux permettent de fixer des objectifs et des engagements dans ce sens (UNESCO, 1994, 2006). Ces différents textes permettent de dégager des principes et valeurs tels que le droit à des contenus de qualité, une vigilance face au risque d’exclusion ou encore la nécessité de lever les obstacles qui pourraient limiter la participation et la réussite. En 2010, la France ratifia la convention relative aux droits des personnes handicapées - CRDPH (ONU, 2006). L’article 24 relatif à l’éducation recommande que « les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système d’enseignement général » (p. 17), mais rappelle également la nécessité de « faciliter leur pleine et égale participation au système d’enseignement » (p. 18). Historiquement, le système éducatif français est organisé dans une approche qualifiée de multiple (European Agency, 2003) qui se caractérise par des possibilités de scolarisation en milieu ordinaire, en milieu spécialisé, mais également dans des dispositifs spécialisés implantés dans le milieu ordinaire. Structurellement, cette organisation semble donc difficilement compatible avec les engagements de l’article 24 si une partie des élèves ne fréquente pas le système d’enseignement général.

Dans ce texte, nous allons nous intéresser aux élèves aveugles et malvoyants pour lesquels la scolarité s’effectue au sein d’établissements scolaires, mais en partie en dehors de la classe ordinaire dans le cadre de dispositifs qualifiés d’inclusifs : l’unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis) ou l’unité d’enseignement externalisée (UEE). Les élèves qui bénéficient de l’Ulis sont scolarisés à temps plein dans un établissement scolaire et bénéficient d’un emploi du temps qui alterne entre la classe ordinaire et le regroupement spécialisé. Les élèves de l’UEE sont généralement scolarisés à temps partiel. Leur emploi du temps pourra alterner entre des temps de scolarisation au sein d’un établissement scolaire et des temps éducatifs (ou de rééducation) au sein de l’établissement médico-social dans lequel ils sont inscrits. Notre question de recherche peut se formuler de la façon suivante : les dispositifs qualifiés d’inclusifs (Ulis et UEE) sont-ils source d’obstacles ou de facilitateurs pour favoriser la participation sociale des élèves qui les fréquentent ?

Nous commencerons tout d’abord par préciser les différentes modalités de scolarisation des élèves aveugles et malvoyants ainsi que notre ancrage théorique du point de vue de la participation sociale. Dans une deuxième partie, nous décrirons les méthodologies mobilisées dans les deux projets sur lesquels nous nous appuyons ici. Dans une troisième partie, nous présenterons les résultats obtenus. La dernière partie permettra de les discuter au prisme de la participation sociale contextualisée au milieu scolaire.

La scolarisation des élèves aveugles et malvoyants en France

Comme nous l’avons indiqué en introduction, les modalités de scolarisation des élèves aveugles et malvoyants en France sont de trois types. Tout d’abord, la scolarisation en milieu ordinaire peut se faire à temps plein au sein d’une classe avec ou sans compensations (accompagnant d’élève en situation de handicap, intervention d’un service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à la scolarisation, matériel pédagogique adapté...). D’autres élèves sont scolarisés à temps plein avec l’appui d’un dispositif Ulis, avec ou sans compensations. L’emploi du temps de ces élèves alterne entre la classe ordinaire et des temps de regroupement avec un enseignant spécialisé. Cette alternance est caractéristique des dispositifs Ulis. La troisième modalité de scolarisation est celle des établissements spécialisés qui historiquement relèvent du secteur médico-social. La scolarité des élèves au sein de ces établissements s’effectue dans le cadre des unités d’enseignement (UE) qui peuvent être internes à l’établissement ou externalisées (UEE) au sein d’une école ordinaire.

Les données statistiques du ministère de l’Éducation nationale permettent d’en dresser un panorama quantitatif. Pour l’année scolaire 2022-2023, il est fait état de 5538 élèves avec trouble de la fonction visuelle scolarisés. Parmi eux, 5051 le sont dans le milieu ordinaire dont 524 avec l’appui d’un dispositif Ulis. 487 sont inscrits dans un établissement spécialisé. Ce dernier nombre ne nous permet pas de savoir combien, au sein de ces établissements, bénéficient d’une unité d’enseignement externalisée. Nous pouvons cependant considérer que 1011 élèves ne sont pas scolarisés à temps complet dans le système d’enseignement général. Ces élèves vont particulièrement retenir notre attention afin de voir en quoi ces modalités de scolarisation exercent une influence (ou non) sur leur participation sociale.

Les notions d’accès, d’accessibilité et de participation sociale

L’organisation du système éducatif, telle que nous venons de la présenter, relève de choix politiques. Nous souhaitons dans ce texte confronter ces politiques éducatives à la question essentielle de l’exercice des droits humains, et plus particulièrement à ceux qui figurent dans la CRDPH. Celle-ci affirme par exemple le rôle primordial de « l’accès à l’environnement physique, aux transports, à l’information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public » (ONU, 2006, p.9). L’article 9 de cette convention, lorsqu’on en effectue une lecture en lien avec le cadre scolaire, nous amène à réfléchir à l’accès physique à l’école, aux transports qui permettent de la rejoindre, mais également aux services fournis par l’institution scolaire. Ces services fournis sont détaillés dans le code de l’Éducation qui dans son article L111-1 indique par exemple que « le service public est conçu et organisé en fonction des élèves […] il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction […] le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale ». Ces droits fondamentaux nous amènent à explorer les concepts d’accès, d’accessibilité et de participation sociale.

La notion d’accès

Cette notion constitue un préalable à l’exercice des droits humains fondamentaux. Fougeyrollas et ses collaborateurs nous éclairent sur l’existence de plusieurs acceptions de cette notion dans la littérature (Fougeyrollas et al., 2015). Ces auteurs cherchent en particulier à mesurer l’accès en s’appuyant sur différentes dimensions qui la composent. Après avoir réalisé une revue de littérature sur l’évaluation de l’accès dans différents domaines disciplinaires (santé, transport, architecture), ils proposent de définir l’accès comme étant l’extension du principe de droit à l’égalité et définissent cette notion de la façon suivante : « l’idée de mettre à la disposition de l’ensemble de la population, par exemple, un bien de consommation, un espace public, un bâtiment, un service ou encore de l’information en prenant en compte la diversité des besoins et des différences fonctionnelles […] afin de rendre possible leur utilisation et leur appréciation par l’ensemble des groupes de population » (Fougeyrollas et al., 2015, p. 14). Cette définition est opérationnalisée en déclinant six dimensions de l’accès : la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité, l’abordabilité, l’utilisabilité et l’adaptabilité. Ces dimensions pourront nous servir en contexte scolaire afin d’analyser l’accès à l’école, l’accès à la classe ordinaire, mais également l’accès aux situations d’enseignement et d’apprentissage. Nous retenons également la distinction faite par certains auteurs dans le domaine de la santé qui distingue l’accès potentiel de l’accès réel (Andersen et al., 1983).

La notion d’accessibilité

L’accessibilité est une notion plus concrète et qualifiée d’opérationnelle. Sa mise en pratique se traduit à la fois par l’application de normes et par l’expérience individuelle (Fougeyrollas et al., 2015). Ces auteurs mettent cependant en avant une approche critique de l’accessibilité normative en rappelant que « Church et Martson (2003) ont démontré que toute norme ou mesure d’accessibilité ne peut s’avérer accessible dans l’absolu, mais en réalité relative en regard des différents groupes de population » (Fougeyrollas et al., 2015, p. 12). Cette relativité témoigne de l’interaction entre la configuration de l’environnement et le degré d’efforts nécessaire à un groupe de population pour accéder au service cible. L’accessibilité nécessite donc de tenir compte des besoins et des caractéristiques des personnes ainsi que des éléments de l’environnement qui pourraient constituer des obstacles à la participation de ces personnes.

Dans le domaine scolaire, cette notion a été déclinée d’un point de vue pédagogique et didactique. Plaisance (2013) rappelle que l’accessibilité pédagogique ne se limite pas à l’accès physique au bâti scolaire, mais bel et bien à « l’ensemble des pratiques qui ouvre aux élèves en situation de handicap les conditions de leur développement optimal » (2013, p. 226). Quelques années plus tôt, une première définition avait été proposée : « l’accessibilité pédagogique correspond aux pratiques et aux savoir-faire professionnels que développent les enseignants, avec le support d’aides techniques spécifiques ou généralistes, pour promouvoir des réponses pédagogiques adaptatives, susceptibles de réduire la situation de handicap » (Benoit & Sagot, 2008, p. 21). Pour ces auteurs, l’accessibilité pédagogique est donc le fruit d’une organisation de l’environnement scolaire (matériel à disposition, gestes professionnels) qui s’adapte aux besoins des élèves afin de réduire la situation de handicap pour ainsi favoriser la participation sociale.

Une troisième déclinaison existe, il s’agit de la notion d’accessibilité didactique qui est définie comme « l’ensemble des conditions qui permettent aux élèves d’accéder à l’étude des savoirs : formes d’étude, situations d’enseignement et d’apprentissage, ressources, accompagnements, aides… » (Assude et al., 2014, p. 35). Cette définition se distingue de la précédente, dans le sens où elle invite à tenir compte de la spécificité du savoir en jeu et des situations permettant d’envisager l’étude de celui-ci. En contexte scolaire, les notions d’accessibilité pédagogique et didactique sont à considérer pour mesurer l’accès potentiel et réel d’un apprenant dans sa place au sein du collectif que constitue la classe.

La notion de participation sociale

La notion de participation est au cœur de la CRDPH, que ce soit du point de vue d’une « effective participation à la société » (ONU, 2006, p. 1) ou encore « la pleine et égale participation au système d’enseignement » (ONU, 2006, p. 18). Dans le modèle systémique dit modèle de développement humain et de processus de production du handicap - MDH-PPH (Fougeyrollas, 2010), la notion de participation sociale est mise en relation avec la notion de situation de handicap. Cette dernière est envisagée comme une mesure de la qualité de la participation sociale. Dans ce modèle systémique, les interactions entre des facteurs personnels (facteurs identitaires, organiques et aptitudes) et des facteurs environnementaux conditionnent (ou non) la réalisation d’habitudes de vie. Lorsqu’il y a une interaction positive entre les facteurs personnels et environnementaux permettant la réalisation d’habitudes de vie, la personne vit une situation de participation sociale. À l’inverse, lorsque l’interaction entre ces deux facteurs ne permet pas la réalisation d’habitudes de vie, la personne vivra une situation de handicap. L’habitude de vie est définie comme « une activité courante ou un rôle social valorisé par la personne ou son contexte socioculturel selon ses caractéristiques […] elle assure la survie et l’épanouissement d’une personne dans sa société tout au long de son existence » (Weber et al., 2004, p. 9).

En contexte scolaire, les habitudes de vie correspondent donc à la possibilité de prendre le rôle social d’élève parmi ses pairs et de pouvoir réaliser les activités courantes que l’on retrouve à l’école. Il peut s’agir d’activités courantes telles que les temps de récréations, de repas, des activités courantes liées à l’étude des savoirs en lien avec un programme reconnu et valorisé socialement, ou encore liées à des activités pédagogiques plus ponctuelles (projets, sorties, préparation à l’orientation…).

Méthode

Ce cadre théorique nous permet maintenant de présenter nos choix méthodologiques afin de mesurer la participation sociale des élèves aveugles et malvoyants dans deux contextes de scolarisation, soit (i) des dispositifs Ulis TFV et (ii) une unité externalisée d’enseignement. Il s’agit pour nous de dégager des indicateurs permettant de mesurer l’accès dans ces deux contextes. Pour cela, nous référons à six dimensions de la notion d’accès qui permettent d’opérationnaliser ces mesures : disponibilité, accessibilité, acceptabilité, abordabilité, utilisabilité, adaptabilité. Ces dimensions sont initialement utilisées dans des études permettant d’analyser l’accès aux services de santé (Fougeyrollas et al., 2015). Dans ce texte nous nous focaliserons uniquement sur quatre dimensions au regard de la spécificité des données que nous analysons. Nous ne mobilisons pas l’abordabilité qui s’intéresse à la dimension financière ni l’adaptabilité qui mesure l’écart entre le service et l’expérience utilisateur, car les données recueillies ne permettent pas de documenter précisément ces deux dimensions.

La disponibilité correspond à l’offre de service sur un territoire donné. En contexte scolaire, cela pourra être étudié à différentes échelles (le système éducatif, la région, le département, l’établissement scolaire). La disponibilité permet également de rendre compte de la possibilité, d’un point de vue temporel, pour qu’une personne puisse fréquenter différentes infrastructures ou services. À l’école, l’aspect temporel pourra être mesuré au niveau du temps de scolarisation global ou encore du temps de scolarisation au sein de la classe ordinaire (comparativement au temps passé en contexte spécialisé). L’accessibilité s’intéresse à la relation entre l’offre de service et sa proximité géographique avec la population pouvant en bénéficier. Cela peut se mesurer à partir du temps de transport pour se rendre sur le lieu de scolarisation. En contexte scolaire, les indicateurs pédagogiques et didactiques, tels que définis supra, pourront également servir de mesures. La troisième dimension est l’acceptabilité qui correspond aux valeurs et croyances des professionnels de la communauté éducative au regard des principes de l’éducation inclusive, mais également aux connaissances, du point de vue de la formation professionnelle, qui peuvent faciliter l’accès ou générer des obstacles à des pratiques inclusives. La dernière dimension est celle de l’utilisabilité. Elle se situe du point de vue de l’utilisateur du service et témoigne de la facilité avec laquelle elle peut interagir avec son environnement. En contexte scolaire, cette interaction pourra être mesurée dans la facilité d’accès à la vie de l’établissement ou, au sein de la classe, dans l’accès à l’étude des savoirs. Nous proposons de synthétiser ces quatre dimensions retenues dans le tableau 1.

Tableau 1. Opérationnalisation des dimensions de l’accès en contexte scolaire

Dimensions Indicateurs Mesures
Disponibilité Présence Nombre
Temps Durée de scolarisation
Accessibilité Physique Lieu de scolarisation
Pédagogique Gestes pédagogiques
Didactique Choix didactiques
Acceptabilité Valeurs et croyances Attitudes et représentations
Connaissances Compétences
Utilisabilité Efficacité/Efficience Réalisation de la tâche
Satisfaction Confort et attractivité
Table 1.

Nous allons maintenant décrire les données à notre disposition et la méthodologie relative à la constitution de ce corpus. Pour cela, nous nous appuyons sur deux projets menés à deux échelles différentes. Le premier, à une échelle macro, pour dresser un panorama national des dispositifs Ulis TFV. Le second, à travers une étude de cas relative à l’externalisation d’une unité d’enseignement, pour toucher un grain plus fin d’analyse.

L’étude des dispositifs Ulis-TFV

Les données présentées en introduction font état de 524 élèves scolarisés dans ces dispositifs, soit légèrement moins de 10% de l’ensemble des élèves aveugles et malvoyants. Ces élèves se répartissent dans 57 dispositifs (29 dans des écoles, 34 dans des collèges et 4 au sein de lycées). Ces données sont issues d’une liste fournie en 2022 par le bureau de l’école inclusive du ministère de l’Éducation nationale. L’objectif de cette étude était de dresser un panorama national du fonctionnement de ces dispositifs. Une enquête sous forme de questionnaire autoadministré a été adressée à l’ensemble de ces établissements. Quatre thématiques étaient investiguées : l’organisation du dispositif au sein de l’établissement scolaire, les collaborations interprofessionnelles, les spécificités liées à la déficience visuelle et les liens entre la classe de référence et le regroupement spécialisé. Chaque questionnaire comportait quatre volets afin de recueillir des réponses auprès des acteurs principaux de ces dispositifs Ulis : les enseignants, les enseignants coordonnateurs, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) et les directeurs ou chefs d’établissements.

Nous disposons d’un nombre de retours conséquent constitué de 155 répondants qui exercent dans 37 établissements différents. Parmi ces répondants, 26 sont des directeurs ou des chefs d’établissements, 73 sont des enseignants, 28 sont des AESH et 28 sont des enseignants coordonnateurs. Le tableau 2 permet d’avoir une vision des données disponibles par niveau d’enseignement.

Tableau 2. Répartition des répondants en fonction du niveau d’enseignement

école collège lycée
AESH 11 15 2
Coordonnateurs 18 8 2
Enseignants 30 41 2
Direction 12 11 3
Table 2.

Les données recueillies sont à la fois quantitatives (des questions fermées, par exemple le nombre d’élèves scolarisés, les matières en classe de référence…) et qualitatives (des questions ouvertes, par exemple concernant l’organisation du projet scolaire de l’élève). Une compilation réalisée dans un tableur permet deux lectures différentes : soit une lecture des réponses d’une même catégorie d’acteurs, soit une lecture des réponses d’acteurs différents exerçant dans un même établissement. Nous utiliserons ces données pour identifier les quatre dimensions de l’accès retenues plus haut afin de voir en quoi ces dispositifs qualifiés d’inclusifs permettent (ou non) de favoriser la participation sociale des élèves qui les fréquentent.

L’étude de l’externalisation d’une unité d’enseignement

La seconde étude concerne l’externalisation d’une unité d’enseignement (UEE) qui scolarise neuf élèves aveugles ou malvoyants au sein d’une école élémentaire. Ce projet de recherche est initié à la demande d’un établissement spécialisé qui, pour la première fois de son existence, est amené à scolariser une partie des élèves qui le fréquentent en dehors de ses murs. L’objectif visé est de pouvoir documenter et comprendre ce qui se joue dans ce processus d’externalisation, à la fois du point de vue des élèves, mais également du point de vue des pratiques professionnelles. Pour ce faire, nous avons mis en place un recueil de traces multiples pendant dix-huit mois (Dupré et al., soumis) : entretiens exploratoires avec les acteurs (observations directes, captations vidéo, entretiens d’autoconfrontation, focus group avec les élèves). Dans le cadre de cet article, nous analyserons la première phase de notre recueil de données, soit (i) dix-huit demi-journées d’observation in situ (ii)onze entretiens exploratoires avec différents professionnels (des enseignants de l’école, l’enseignante spécialisée en charge de l’unité d’enseignement, des éducateurs, la directrice de l’école et la directrice de l’établissement médico-social) dans lesquels nous les interrogions sur le fonctionnement de l’UEE et leurs représentations sur ce type de dispositif inclusif ainsi que (iii) deux focus groups menés avec les élèves scolarisés au sein de l’UEE et visant à recueillir leurs points de vue. Nous avons réalisé une analyse de contenu thématique (Paillé et Mucchielli, 2021) des entretiens et du focus group.

Résultats

L’Ulis TFV, une mise en œuvre de façon différenciée qui conditionne la participation sociale

L’enquête que nous avons réalisée permet de dresser un panorama national du fonctionnement des dispositifs Ulis dédiés aux élèves aveugles et malvoyants. Les quatre dimensions de l’accès à une éducation inclusive nous permettent de prendre conscience qu’un dispositif qualifié d’inclusif peut fonctionner de manière différenciée. Ces disparités de fonctionnement entrainent des situations de participation sociale variables. Nous allons illustrer cela à partir des dimensions de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité et d’utilisabilité.

Dimension de disponibilité

Nous pouvons tout d’abord analyser la disponibilité de ces dispositifs à l’échelle nationale. Comme nous l’avons indiqué, 57 dispositifs figurent dans les données du bureau de l’école inclusive, implantés dans 26 départements. Ce niveau macro permet de prendre conscience que cette modalité de compensation n’est pas disponible partout sur le territoire, trois départements sur quatre ne la proposant pas. Nous mettons ici en évidence une disponibilité différentielle qui s’étend sur un spectre large qui va de l’impossibilité d’accès à un accès potentiel pour les élèves résidant dans l’un des 26 départements.

Lorsque nous nous plaçons à un grain plus fin, l’enquête nous permet de connaitre les disciplines scolaires qui figurent à l’emploi du temps de l’élève en classe de référence. Nous observons ici une distinction entre les dispositifs Ulis école et les dispositifs Ulis collège. Dans le premier degré, les répondants indiquent que certaines matières définies par les programmes de l’école élémentaire ne sont pas étudiées par les élèves en classe de référence. En croisant les réponses des directeurs et des coordonnateurs, les matières qui semblent le plus abandonnées sont les arts plastiques, l’EPS et l’éducation musicale. Dans le second degré, le constat est différent. Les répondants indiquent un accès potentiel à l’ensemble des matières du collège au sein de la classe de référence.

Dimension d’accessibilité

Nous pouvons saisir la dimension d’accessibilité dans cette étude à deux niveaux. D’un point de vue physique, la faible disponibilité de ces dispositifs et leur répartition sur le territoire entraine en conséquence une contrainte de transport pour s’y rendre. Cependant, les données recueillies ne nous permettent pas d’apporter plus de précisions sur ce point. Le second indicateur permettant la mesure de cette dimension est pédagogique en nous intéressant aux données recueillies relatives aux compensations et aux adaptations proposées.

La place des compensations est massive, à la fois à travers une présence importante des AESH dans l’ensemble des dispositifs et par la diversité des outils mis à disposition des élèves aveugles et malvoyants. En effet, on compte 47 personnels pour 18 dispositifs en école et 20 personnels pour 6 dispositifs collège, avec une ancienneté dans leur poste extrêmement variable (de quelques mois à 26 ans). La présence des AESH est indiquée dans l’ensemble des disciplines pour lesquelles les élèves se rendent dans leur classe de référence. Nous pouvons supposer que le temps où les élèves aveugles et malvoyants sont seuls en classe ordinaire est relativement réduit. Les compensations matérielles sont quant à elles d’une grande variété, répondant à la diversité des besoins des élèves : lampes, feuilles adaptées, matériel de géométrie spécifique, outils numériques adaptés allant de l’ordinateur au bloc-notes braille. Leur présence est systématique, exigeant des aménagements de l’espace de travail, mais leur maintenance ainsi que les compétences spécifiques à mettre en œuvre pour leur usage semblent poser des problématiques supplémentaires (formations des accompagnants et des enseignants aux outils numériques, délai important en cas de réparation...). La présence progressive des outils numériques en classe de l’école au lycée semble un gage d’inclusion, facilitant les transmissions de documents entre les professeurs et l’élève, mais pose aussi la question de leur acceptation par les acteurs concernés : trois répondants notent que les outils sont rejetés par les élèves.Les réponses obtenues mettent en évidence un recours important à des compensations qui peuvent être le signe d’un manque d’accessibilité de l’environnement scolaire.

Les adaptations ont également une place majeure dans les données recueillies. Elles consistent en transcription en braille, en adaptation en grands caractères ou en relief notamment. Elles sont l’objet d’une attention particulière, d’un temps conséquent de travail de l’ensemble des acteurs (enseignants, AESH), en particulier des coordonnateurs de dispositifs, dont certains voient cette tâche prendre une large part de leur mission, n’ayant pas toujours l’appui d’un centre de transcription et d’adaptation, ou celui-ci ne pouvant répondre aux délais courts qu’exige souvent le rythme scolaire. Les aménagements en temps supplémentaire lors des évaluations sont peu mis en place, pour des raisons d’organisation, ce qui prépare a minima l’élève concerné aux situations d’examens nationaux qu’il vivra au cours de sa scolarité. Il est davantage noté des allégements de contenus, des suppressions de questions ou des changements de modalités (lecture à voix haute, écriture de l’accompagnant sous dictée). Le croisement des réponses montre cependant que tous les acteurs ne s’accordent pas sur leur implication respective dans les adaptations ni peut-être sur la définition même d’adaptation. Si la présence de compensations et la nécessité des adaptations ne sont jamais remises en cause au sein de ce recueil de données, il affleure que ces dernières ne sont pas réfléchies conjointement par les différents acteurs qui travaillent au sein d’un même dispositif.

Lorsque l’on explore les relations entre la classe de référence et le regroupement spécialisé, il apparait que ce dernier est très peu mobilisé pour anticiper les séances à venir au sein de la classe de référence. Dans une moindre mesure, il semble parfois utilisé pour donner du temps supplémentaire aux élèves afin de terminer un travail débuté en classe de référence. Les réponses nous permettent de penser que la fonction du regroupement spécialisé n’est pas spécialement pensée comme une aide à l’étude des savoirs qui seront rencontrés en classe de référence.

Dimension d’acceptabilité

La dimension d’acceptabilité peut être saisie à partir de questions ouvertes sur les difficultés auxquelles les acteurs sont confrontés et sur la formation de ces professionnels.

Une difficulté commune formulée par les répondants est d’abord celle de la gestion du temps, en particulier celui des échanges entre les différents acteurs pour organiser une scolarité inclusive des élèves aveugles et malvoyants : l’organisation des emplois du temps des élèves où les contraintes des différents intervenants peuvent être plus déterminantes que le projet de l’élève (temps de soin, de rééducation...), l’anticipation suffisante pour prévoir les adaptations de supports, des temps formels d’échange pour construire les projets des élèves. Ce sont les coordonnateurs de dispositifs qui le notent le plus, manquant cruellement de temps de travail en équipe, certains soulignant même leur isolement dans leur mission.

Un autre axe de difficulté est celui des besoins spécifiques des élèves concernés, pour lesquels les acteurs (en particulier les enseignants des classes ordinaires) ne sont pas formés, parfois pas même sensibilisés : des enseignants qui ne peuvent pas lire les écrits des élèves utilisant le braille, la gestion des déplacements en autonomie plus complexe et plus lente, certains contenus disciplinaires qui sont jugés inaccessibles (comme en arts visuels ou en EPS par exemple), la méconnaissance des outils utilisés par eux (bloc-note, machine braille) et de technique de communication.

Enfin, tous les acteurs mettent en évidence des difficultés à construire une scolarisation inclusive pour des élèves aveugles ou malvoyants avec un autre trouble qui y serait associé.

Nous croisons ces difficultés avec une autre donnée qui est celle de la formation des acteurs. Si les coordonnateurs de collège et lycée ont tous suivi une formation spécialisée dans la déficience visuelle parmi nos répondants, ce n’est le cas que de huit coordonnateurs de dispositif Ulis école sur les dix-huit ayant répondu ; moins d’un tiers des enseignants des classes ordinaires a reçu une formation même minime de sensibilisation. Nous retrouvons cette proportion en ce qui concerne les AESH.

Dimension d’utilisabilité

Pour saisir cette dimension, il est nécessaire de se placer du point de vue de l’élève ou de sa famille, ce que notre enquête ne permet pas directement. Nous pouvons cependant faire état de propos rapportés dans les réponses des enseignants. Ainsi, certains notent que les élèves malvoyants ou aveugles sont “souvent un peu réservés”, qu’ils sont en difficulté pour échanger avec eux, parfois du fait de la présence d’AESH. Ce constat fait écho avec d’autres travaux qui montrent que ce type de compensation humaine peut limiter les interactions avec l’enseignant (Booms, 2022; Toullec-Théry, 2020).

L’externalisation d’une unité d’enseignement n’est pas un gage de participation sociale

Nous nous appuierons dans cette partie à la fois sur nos observations in situ, ainsi que sur les entretiens exploratoires que nous avons menés avec les différents professionnels de l’école et de l’établissement médico-social (ESMS) dans le cadre de la recherche portant sur l’externalisation de l’UEE.

Dimension de disponibilité

Nous pouvons analyser la dimension de disponibilité à partir de l’organisation de l’emploi du temps des élèves et de ses évolutions. Le projet initial prévoyait que les élèves fussent à l’école élémentaire cinq matinées par semaine. Mais en réalité ces matinées sont raccourcies par l’organisation des transports des élèves, dont les domiciles sont éloignés de l’école. Alors que l’école commence à 8h30, l’arrivée des élèves en taxi était prévue à 9h (et dans nos observations jusqu’à 9h30). Les après-midis, les élèves de l’UEE retournent au sein de l’établissement spécialisé où leur emploi du temps alterne entre des temps d’enseignements, des temps éducatifs et des temps rééducatifs avec différents professionnels. Le mercredi matin, ils sont également scolarisés dans l’établissement afin de pouvoir bénéficier d’interventions de rééducateurs parallèlement à la classe. Leur emploi du temps est donc particulièrement morcelé entre différents lieux et une multitude de professionnels.

Les jeunes de l’UEE ne croisent pas leurs pairs le matin en arrivant à l’école ni les parents de leurs camarades, ils se rencontrent surtout lors de la récréation du milieu de matinée, même s’ils ne participent pas à toutes les récréations au cours de la semaine. En effet, lors d’un de ces temps, une partie des élèves de l’UEE travaille avec un professeur d’arts plastiques. Pour ceux qui vont en récréation, l’expérience n’est pas toujours simple, car on sait que ce temps peut être très difficile pour certains élèves très malvoyants ou aveugles du fait du bruit et du mouvement permanent (Lewi-Dumont, 2016). Le repas est également un espace de rencontre avec les autres élèves, mais qui reste très partiel. Ce repas est prévu à la cantine de l’école, mais un peu avant les autres élèves. Toutefois, certains élèves de l’école sont, ponctuellement, invités à partager le repas avec les élèves de l’UEE.

En fin de deuxième année (à partir du mois de mai), à la suite d'un réaménagement de l’organisation des transports, la plupart des élèves de l’UEE ont pu arriver un peu plus tôt le matin (vers 8h30), mais sans pouvoir partager la récréation d’accueil ou des temps inclusifs en classe lors des rituels de début de matinée.

Les temps de scolarisation au sein de la classe ordinaire ont peiné à se mettre en place, pour différentes raisons, notamment un manque de clarté probable des recommandations institutionnelles, une grande réserve de la part de quelques membres de l’équipe enseignante et des changements dans cette équipe ainsi qu’un changement d’enseignante spécialisée. Il n’a pas été possible de prévoir des plages horaires régulières où les élèves de l’UEE pourraient se rendre dans une classe de référence. Des actions ont pourtant été menées, sur projet, notamment en lecture avec les classes de CP (première primaire) et en arts plastiques, sur la base du volontariat tant pour les élèves déficients visuels que pour les voyants, pendant les récréations. La deuxième année, il a été possible d’organiser, de façon plus régulière des temps d’inclusion en mathématiques en CE2 (3e primaire) avec une jeune enseignante particulièrement volontaire, mais également pour certains élèves des temps en CP ou CE1, toujours autour de projets ponctuels.

La dimension temporelle est une variable qui nous semble constituer un des plus grands freins au processus inclusif : temps de présence des élèves, mais aussi de l’enseignante spécialisée qui est dans un « entre-deux » pas forcément propice à la construction d’une proximité professionnelle avec ses collègues de l’école élémentaire et par là même de projets, outre le fait que ses contacts avec les professionnels de l’établissement deviennent plus rares.

Dimension d’accessibilité

Nous reviendrons ici sur l’accessibilité tout d’abord d’un point de vue spatial. Pour des raisons administratives, l’école élémentaire choisie à la création de l’UEE n’est pas la plus proche de l’établissement spécialisé : les élèves ne peuvent pas faire des trajets de l’une à l’autre à pied. Cela les rend très dépendants des transports en taxi, ce qui leur fait perdre du temps de scolarisation, comme nous venons de l’évoquer ci-dessus. À leur arrivée, les élèves de l’UEE ont été accompagnés par des professionnels de l’ESMS afin de se familiariser avec les lieux, notamment la cour de récréation. Malgré cela les élèves ne se déplacent quasiment jamais seuls. Que ce soit pour aller à la cantine, rejoindre d’autres classes pour des projets ponctuels ou encore en récréation, ils sont toujours accompagnés par une des professionnelles de l’UEE (l’enseignante et/ ou une accompagnante éducative et sociale (AES)) qui reste à proximité. Si ces pratiques sont étayantes et rassurantes pour les jeunes, elles limitent toutefois le développement d’une certaine autonomie.

Par ailleurs, les enseignants de l’école ont apprécié les temps de formation en lien avec la déficience visuelle proposés lors de l’ouverture de l’UEE comme le souligne l’un d’entre eux “ on a eu des formations en début d'année qui étaient très intéressantes”. Toutefois ces temps ponctuels (deux journées) ne se sont pas poursuivis la deuxième année, malgré le renouvellement d’une partie de l’équipe. Les enseignants soulignent que le manque de temps (pour se former, pour préparer des séances adaptées, pour rencontrer l’enseignante de l’UEE) constitue un obstacle majeur à l’inclusion des élèves. Ainsi le morcellement, le manque de travail collectif ne permettent pas aux enseignants de construire en amont des séquences susceptibles d’être “nativement accessibles” aux élèves de l’UEE, alors que dans de nombreuses parties des programmes scolaires, très peu d’adaptations sont nécessaires.

Dimension d’acceptabilité

Les différents professionnels, au sein des entretiens exploratoires, soulignaient le droit à l’éducation de tous les élèves et semblaient très enthousiastes par rapport à la mise en place de ce projet d’externalisation : « l’idée de l’inclusion je la trouve très bien » (l’enseignante de l’UEE), « d’avoir des élèves [malvoyants] dans des écoles ordinaires, pourquoi pas ? Ils ont le droit d’être une personne normale aussi »(une AES), « ça répond à la loi de 2005. Tous les élèves ont une place à l'école et dans l'école aussi, vraiment physiquement, c'est très intéressant de les avoir à l'école (...) ça a permis à nos élèves de s'ouvrir sur des élèves qui sont en situation de handicap » (un enseignant). Du côté de l'établissement spécialisé, une grande prudence s’exprimait par rapport aux capacités des élèves, à leur fatigue potentielle et à leur besoin de rééducations, en soulignant la nécessité d’adapter les conditions afin de « les mettre dans les meilleures dispositions pour pouvoir échanger avec les autres enfants, pour le moment à la récréation et dans les petits ateliers » (l’enseignante de l’UEE). Du côté de l’école, malgré une volonté affirmée, il s’agissait au départ plus d’un accueil que d’une scolarisation, à l’exception de quelques enseignantes. L’école bénéficiant de l’intervention de professeurs en arts plastiques, EPS et éducation musicale, ces derniers ont été dès le début volontaires pour mettre en place des séances avec les élèves de l’UEE.

La multiplicité des lieux et des interlocuteurs peut également générer une confusion dans les rôles et les missions de chacun, ce qui a pu engendrer des tensions tant entre les professionnels du médico-social qu’entre les professionnels de l’ESMS et ceux de l’école. Les difficultés rencontrées autour de la coordination en sont un exemple. La coordination de l’UEE est portée par une enseignante du médico-social qui assure à mi-temps la coordination pédagogique au sein de l’ESMS ainsi que celle de l’UEE. Elle précise ainsi que ses missions en tant que coordinatrice consistent à « travailler en lien avec l’école, avec l’enseignante […]. Et le futur ce sera d’organiser les temps d’inclusion pour les élèves [...] récupérer toutes les informations et centraliser un peu, et forcément en lien avec la direction de l’ESMS ». Toutefois cette professionnelle a dans les faits très peu de contact avec l’équipe de l’école et une partie des activités qu’elle décrit sont plutôt portées, sans que cela soit rendu explicite, par l’enseignante de l’UEE. Cette question de la coordination a généré des tensions au fil des deux années. Par exemple, l’école n’a pas été prévenue lors de l’absence de l’enseignante et des élèves de l’UEE, alors qu’ils étaient attendus pour un cours d’EPS. D’autres fois, ce sont l’enseignante de l‘UEE et les élèves qui n’ont pas été prévenus de l’annulation d’activités menées au sein de l’ESMS. Ainsi les écarts entre les missions telles qu’elles ont été pensées et la réalité du terrain bousculent les représentations et missions de chacun, provoquant des points de tensions qui, en l’absence de temps d’échanges et de régulations, peuvent difficilement être pensées et transformées.

Dimension d’utilisabilité

Nous avons, pendant la deuxième année, continué à recueillir la parole des acteurs, de façon formelle ou plus informelle, mais avons aussi souhaité enregistrer les points de vue des élèves de l’UEE. La situation semblait repartir du point de départ, sans aucun temps d’enseignement partagé avec d’autres élèves de l’école à part avec les professeurs d’arts plastiques (lors des temps de récréations). Une réunion de début d’année très houleuse à laquelle nous n’assistions pas, rapportée par l’équipe spécialisée, semblait indiquer que la majorité des enseignants se satisfaisaient de la présence des élèves dans l’école, mais pas dans leur classe, soulignant les difficultés de nombreux élèves dans leurs classes. Nous avons alors échangé avec l’équipe de l’école. Les enseignants soulignèrent qu’une UEE n’est pas une Ulis (où des temps au sein de la classe de référence sont de mise), valorisèrent les moments partagés informels (cantine, récréation), mettant en cause l’absence de temps institutionnel pour travailler avec l’enseignante de l’UEE. La directrice elle-même affirmait ne pas avoir été avertie que l'inclusion serait scolaire (en dépit de la convention signée). Malgré tout, certaines enseignantes se déclarèrent prêtes à mettre en place des projets inclusifs.

Nous avons pu organiser deux focus groups avec une partie des élèves de l’UEE (six élèves sur neuf) afin de recueillir leurs points de vue. Ces temps seraient à poursuivre afin d’explorer l’évolution des ressentis et représentations des élèves. Nous avons toutefois déjà pu constater que leur ressenti concernant leur scolarisation au sein de l’UEE est globalement mitigé. Ils soulignent apprécier certains moments au sein de l’école, qu’il s’agisse de temps scolaires ou périscolaires (participation au carnaval, temps d’inclusion en mathématiques) : « moi j’ai aimé en arts plastiques le dessin qu’on avait fait quand on a dessiné notre main et qu’on avait fait des décorations avec des feutres », « en mars j’ai été dans la classe des CE1, ça s’est bien passé, c’était sur la macédoine de fruits et on a écrit un menu ». Cinq d’entre eux disent avoir plusieurs amis dans les autres classes de l’école avec lesquels « ils jouent ou se baladent », bien qu’il ne soit pas aisé de les retrouver dans la cour. Les élèves de l’UEE évoquent également que ces temps de récréation sont parfois difficiles avec beaucoup de bruit et de mouvements, les autres élèves ne faisant pas attention à eux : « à la récréation, ils courent dans tous les sens et ils ne font jamais attention (...) alors on reste dans le préau parce que c’est plus facile et on se sent en sécurité », « j’avais ramassé 95 bogues de marrons, et ils les ont toutes fait tomber... ils sont comme ça les enfants de l’école ». Leurs discours témoignent également de la difficulté de partager leurs journées dans deux contextes différents, de nouer et maintenir des amitiés dans les deux lieux, avec parfois le sentiment de manquer des choses dans l’établissement (par exemple, la distribution de gâteaux qui a lieu tous les mardis au sein de l’ESMS) en venant à l’école. Les élèves comme l’enseignante se situent donc dans un espace « entre-deux » complexe, qui questionne leur sentiment d’appartenance. Il serait intéressant de continuer à entendre les élèves sur ce point, le sentiment d’appartenance pouvant être considéré selon Pelgrims, Chlostova Muñoz & Fera (2021) comme « un révélateur » (p.279) de l’adaptation des élèves, mais peut-être également des professionnels, à leur nouveau contexte de scolarisation et d’exercice.

Discussion

Les résultats de ces deux études nous permettent maintenant de discuter plus particulièrement cinq points : le grain d’étude, le recours massif aux compensations, la collaboration et la formation des acteurs, le recueil de la parole des élèves et les pratiques effectives au sein de dispositifs qualifiés d’inclusifs.

Tout d’abord, nous souhaitons revenir sur le grain d’étude afin de mesurer la notion d’accès en contexte scolaire, notion qui conditionne une participation sociale effective des élèves. L’enquête relative aux dispositifs Ulis a permis de dresser un panorama à l’échelle nationale et de saisir plusieurs dimensions de la notion d’accès. Ces dimensions (disponibilité, accessibilité et acceptabilité) mettent en évidence qu’un même dispositif peut être décliné localement de façon différente (en particulier entre le premier et le second degré), mais aussi de percevoir certaines pratiques (recours important à la compensation humaine, faibles articulations entre la classe et le regroupement spécialisé) qui ne semblent pas favoriser l’accessibilité pédagogique. Ce grain large ne permet cependant pas de saisir des pratiques effectives qui apparaissent nécessaires pour mesurer les dimensions d’accessibilité pédagogique et didactique. En revanche, l’étude relative à l’UEE a permis de recueillir à une échelle micro des pratiques effectives et des discours d’acteurs qui permettent plus facilement de mesurer l’accessibilité et l’utilisabilité. Cependant, comme il s’agit d’une première étude de cas, il n’est pas possible de monter en généralisation. La combinaison de ces deux échelles apparait comme nécessaire pour bien saisir la réalité de participation sociale en contexte scolaire.

Le second point sur lequel nous pouvons discuter est le recours massif aux compensations pour soutenir la scolarisation au sein de l’école ordinaire. Dans les dispositifs Ulis, cela se traduit par un nombre important d’AESH ainsi que par du matériel spécifique. Au sein de l’UEE, nous retrouvons également l’importance accordée à l’accompagnement humain (dans ce cas, celui-ci est assuré par une éducatrice) lorsque les élèves partagent des temps d’enseignement au sein de la classe ordinaire. La relation inversement proportionnelle entre compensation et accessibilité laisse à penser que ce recours massif aux compensations traduit une difficulté d’accessibilité de l’environnement scolaire. Plusieurs études ont mis en lumière les obstacles à l’étude que peut représenter cet accompagnement humain (Dupré, 2023; Houdement & Petitfour,à paraitre) et le fait qu’il peut, au contraire de l’objectif visé, recréer des situations d’exclusion au sein même de la classe.

Dans les deux études, il ressort que les dispositifs qualifiés d’inclusifs engendrent une complexification de l’environnement scolaire en associant différents acteurs et lieux dédiés à l’enseignement et aux apprentissages. Cependant, nous observons un manque d’espace conjoint de travail pour penser l’articulation et la complémentarité des différentes actions. Cet aspect peut également être mis en relation avec le peu de formation des équipes éducatives, en particulier du point de vue des enseignants au sein des classes ordinaires, mais également des accompagnants. Bien que les enseignants spécialisés aient cette fonction de personne-ressource, celle-ci semble complexe à opérationnaliser en l’absence d’espaces institutionnellement prévus pour ce travail collaboratif qui pourrait avoir comme fonction de développer des pratiques en faveur de l’accessibilité pédagogique et didactique afin de réduire certaines mesures compensatoires. Ces enjeux d’accessibilité apparaissent comme nécessaires pour réduire les situations de handicap et favoriser la participation sociale des élèves.

Le quatrième point qui ressort de nos études est lié à la dimension d’utilisabilité qui nécessite d’interroger le point de vue des utilisateurs. Dans ce contexte scolaire, le recueil de la parole des élèves et de leurs familles, apparait comment un élément important dans la mesure de l’accès. Dans la conception de nos recueils de données, il s’agit d’un point que nous n’avions pas suffisamment développé et qui nous apparait maintenant essentiel lorsqu’il s’agit d’étudier la participation sociale des élèves à l’école.

Le dernier point que nous discutons est en lien avec les dispositifs étudiés. Nous avons fait le choix de nous intéresser à deux dispositifs qualifiés d’inclusifs (Ulis et UEE) qui existent au sein du système éducatif français afin de répondre aux engagements pris en faveur de l’éducation inclusive. Il apparait dans les deux cas une architecture complexe de ces dispositifs qui, si elle n’est pas prise en compte à travers des pratiques professionnelles collaboratives, ne garantit ni l’accessibilité ni la participation sociale des élèves qui les fréquentent. Ces dispositifs peuvent au contraire maintenir des fonctionnements intégratifs (lorsque l’élève doit se montrer « capable » pour étudier telle ou telle matière en classe ordinaire dans certains dispositifs Ulis-école) ou ségrégatifs (lorsque la scolarisation au sein de l’école ordinaire s’effectue principalement dans une salle dédiée à l’UEE avec un nombre limité d’interactions avec les autres élèves et professionnels de l’école).

Conclusion

Dans ce texte, notre objectif était d’étudier la question suivante : les dispositifs qualifiés d’inclusifs (Ulis et UEE) sont-ils source d’obstacles ou de facilitateurs pour favoriser la participation sociale des élèves qui les fréquentent ? Les dispositifs étudiés contribuent à la scolarisation d’un élève aveugle ou malvoyant sur cinq au regard des statistiques disponibles. Pour étudier la participation sociale en contexte scolaire, nous nous sommes appuyés d’un point de vue théorique sur le modèle systémique dit modèle de développement humain et de processus de production du handicap et sur différents travaux liés qui nous ont permis de mobiliser différentes dimensions de la notion d’accès afin d’en opérationnaliser la mesure. Ces différentes dimensions ont permis de mettre en évidence que ces dispositifs qualifiés d’inclusifs peuvent être cependant source d’obstacles à la participation sociale et donc contribuer à générer des situations de handicap. À l’échelle du système éducatif, il ne suffit pas d’installer ces dispositifs pour répondre aux enjeux de l’éducation inclusive, en particulier du point de vue de l’accessibilité pédagogique et didactique.

Certaines limites sont apparues comme l’échelle de l’étude (étude de l’UEE) ou encore la nécessité de recueillir des pratiques effectives ainsi que la parole des élèves et de leurs familles pour mesurer la participation sociale en contexte scolaire (étude des dispositifs Ulis TFV). Ces limites mettent en évidence la nécessaire complémentarité des grains d’analyse et nous confortent dans l’approche systémique qui est la nôtre afin de poursuivre nos travaux consacrés à la scolarisation des élèves aveugles et malvoyants. En ce qui concerne les dispositifs Ulis, à l’issue de cette première enquête, il nous apparait nécessaire de poursuivre à un grain plus fin de façon à étudier des pratiques effectives à l’école et dans le second degré. L’étude relative à l’externalisation d’une unité d’enseignement a mis en évidence la nécessité de poursuivre sur ce terrain afin de voir la manière dont certaines limites observées pourront être dépassées et donc d’identifier des facilitateurs du développement d’une participation sociale effective des élèves.

Appendix 1. Étude des obstacles et facilitateurs à la participation sociale des élèves scolarisés dans des dispositifs qualifiés d’inclusifs (Ulis et UEE) : Données recueillies et analyse des données.

Données recueillies
Dispositifs Ulis TFV
155 questionnaires remplis par :
- 26 directeurs ou des chefs d’établissements
- 73 enseignants
- 28 AESH
- 28 enseignants coordonnateurs
Issus de 37 établissements
Dispositif UEE
18 demi-journées d’observations in situ avec journal de bord
11 entretiens exploratoires :
- Une coordinatrice pédagogique
- Une directrice d’écoleUne directrice d’ESMS
- Un chef de service
- Une AES
- 6 enseignants
2 focus groups menés avec 6 élèves
Table 3.
Analyse des données
Dispositifs Ulis TFV
Les questionnaires ont été analysés de façon quantitative et qualitative, selon une analyse de contenu thématique des questions ouvertes (Paillé et Mucchielli, 2021).
Dispositif UEE
Les journées d’observation in situ ont été associées à des temps d’intervision réguliers entre les différents chercheurs impliqués. Ces temps ont permis de faire ressortir des points saillants dans une démarche exploratoire et en co-construction avec les professionnels, en lien avec la démarche collaborative mise en œuvre dans cette recherche (Vinatier et Morrissette, 2015).
Les entretiens exploratoires ainsi que les focus groups ont été retranscrits puis analysés selon une analyse de contenu thématique (Paillé & Mucchielli, 2021).
Table 4.

Références

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Publiée

28-10-2024

Rubrique

Dossier

Comment citer

Dupré, F., Atlan , E., Treffé, C., & Lewi-Dumont, N. (2024). Scolarisation des élèves déficients visuels et participation sociale. Revue Interdisciplinaire Sur Le Handicap Visuel, (1). https://doi.org/10.5077/journals/rihv.2024.e1612